La Charte, le contrat de mariage des sociétés familles prévoyantes

Réunis par BDO Family, plusieurs dirigeants et actionnaires d’entreprises patrimoniales ont discuté des avantages liés à la signature d’une charte familiale.

Ils sont venus, ils sont tous là. Leurs profils et leurs parcours sont très différents. Il y a ce fondateur qui explique en riant que ses enfants tentent de le mettre à la porte. Près de lui, le successeur d’une célèbre chaîne de distribution alimentaire se prépare avec son frère à prendre la suite de son père. Une jeune femme qui avait toujours refusé de travailler dans l’entreprise familiale a finalement accepté de sauter le pas il y a tout juste quelques semaines pour rejoindre son frère et son père qui doit accepter de passer la main. Un successeur d’une maison de champagne cherche, lui, à éviter que l’arrivée de la nouvelle génération aux commandes créé des conflits semblables à ceux que son papa a connus avec son grand-père. Le représentant d’une société fondée il y a six générations est venu écouter des conseils, tout comme cette actionnaire familiale qui vient de terminer une année sabbatique. Tous ses dirigeants et investisseurs ont choisi de participer à cette rencontre organisée par BDO Family pour parler d’un seul et même thème : la charte familiale.

Depuis quelques années, les entreprises patrimoniales sont de plus en plus nombreuses à se réunir pour travailler, élaborer et signer de tels textes. Mais qu’est-ce qu’une charte exactement ? « C’est un document à géométrie variable qui peut faire dix lignes ou 200 pages et qui a pour objectif de faire passer le collectif avant l’individuel », résume Christophe Saubiez, associé de BDO Family. Si le pacte d’actionnaires définit l’aspect juridique des relations familiales, la charte comprend tout le reste. Ce document peut définir la manière dont la famille s’organise et indiquer les règles de représentation au sein des instances de gouvernance de l’entreprise. Il peut détailler les conditions requises pour occuper des fonctions dans le groupe, ainsi que la périodicité et les modalités de rencontre entre les membres du « clan ». Ce texte peut aussi préciser le rôle des conjoints dans la compagnie et les valeurs à respecter. « On met vraiment tout ce que l’on souhaite dans une charte. Mais si ce document est utilisé pour caler un bureau, il ne sert à rien, prévient Romain Chevillard, Coach et conseiller en gouvernance chez BDO France. Les bonnes sociétés sont celles qui ont une bonne gouvernance. Il en est de même pour les familles. Celles qui sont bien organisées et structurées fonctionnent mieux. »

La charte est avant tout un prétexte qui permet à des proches de s’asseoir autour d’une table pour parler de sujets qu’ils évitent souvent. Il est important d’avoir dans une famille des moments pour le dialogue, la réflexion et la confrontation. Quand tout a été pensé, réfléchi et écrit sur un morceau de papier qui a été signé par l’ensemble des personnes présentes lors des discussions, la famille dispose d’une base solide et d’une procédure précise qui pourront lui servir de référence quand les passions s’empareront d’une situation. En identifiant des désaccords potentiels, une charte peut ainsi résoudre des conflits avant même qu’ils ne se produisent. « On pourrait la comparer à un contrat de mariage, résume Romain Chevillard. Il est préférable de se mettre d’accord quand tout va bien, sur les sujets qui risquent de poser problème à l’avenir. Lors des phases de transmission, des questions d’argent et des enjeux de pouvoir peuvent générer des clashs. La charte cherche à éviter cela car elle permet aux membres de la famille de mieux se connaître, de renforcer les liens qui les unissent et de fixer un cadre. Lorsque nous réunissons des proches pour la première fois, nous leur demandons tout d’abord de décrire les qualités des uns et des autres. Nous appelons cela notre séquence « Bisounours ». Il est en effet plus facile de travailler sur nos divergences quand on a pris conscience au préalable de nos convergences. »

La volonté de rédiger une charte est souvent liée à la transmission et au passage de flambeau d’une génération à la suivante. « Je suis venu ici pour préparer l’avenir et organiser la succession pour mes futurs enfants et ceux de mon frère », reconnaît un témoin présent à l’atelier qui se déroule au siège parisien de BDO. « J’ai crée avec mon épouse un réseau d’agences immobilières et nous souhaitons aujourd’hui nous préparer pour que la succession se passe au mieux avec nos trois enfants », renchérit un autre dirigeant. Les jeunes sont particulièrement demandeurs de ce type de « contrat moral ». La nouvelle génération, qui pouvait dans le passé juger rébarbatif de rejoindre la société de ses aïeux, est désormais plus encline à prendre la relève mais elle souhaite éviter les failles qui peuvent pousser des proches à s’entredéchirer. Il est en conséquence primordial pour ces jeunes de mettre en place de bonnes conditions d’entente et de prise de décision. La charte est pour eux un outil destiné à minimiser les risques de conflits et à assurer la pérennité de la compagnie.

L’idéal est d’impliquer un maximum, voire même la totalité, des membres de la famille dans la conception et la signature de ce document. « Le dominant ne doit pas monopoliser tous les débats, prévient Romain Chevillard. Le plus important, dans ces discussions, n’est pas l’accord final mais le chemin qui a été parcouru pour y parvenir. » Ce processus peut prendre du temps mais les proches doivent tenter de se fixer une date-limite pour trouver un terrain d’entente. Il est ainsi préférable de ne pas dépasser une limite de dix-huit mois pour parapher cet accord. Afin d’éviter certaines tensions, la nomination et le recrutement d’un expert externe peuvent se révéler bénéfiques. « La médiation d’un tiers neutre, indépendant et tenu au secret professionnel est un atout pour les familles qui souhaitent mener un processus rigoureux et dépassionné », souligne Christophe Saubiez.  Beaucoup pensent en outre qu'une charte a une portée exclusivement morale et aucune valeur juridique. Mais dans la mesure où il s'agit d'un document signé par des personnes juridiquement capables qui comporte des engagements, il relève du champ des contrats et donc du droit des obligations dans le cadre du droit civil général.

Pour être utile et efficace, une charte doit également être périodiquement réactualisée afin de s’adapter aux conditions changeantes de la vie familiale. « Le contenu de la charte est amené à évoluer, estime Christophe Saubiez, c’est un document vivant, en perpétuel mouvement et les engagements qui y sont pris doivent évoluer avec les étapes de la vie de la famille et de l’entreprise. » Alors, vous êtes prêts à sauter le pas ?

Frédéric Thérin en collaboration avec Christophe Saubiez et Romain Chevillard