Contrôle fiscal : les nouveaux enjeux de l'abus de droit fiscal

L’administration fiscale peut désormais écarter, comme étant abusifs, les actes ou les montages ayant un but principalement fiscal.

Depuis plusieurs années, force est de constater que l’arsenal de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales n’a de cesse de se consolider. Parmi les dernières mesures mises en place figure notamment la fin du « verrou de Bercy », c’est-à-dire du monopole de l’administration fiscale sur l’opportunité d’engager des poursuites pénales en cas de fraude. Désormais, les cas les plus graves doivent systématiquement être transmis au parquet. Autre exemple, une mesure récente, issue d’une directive européenne, oblige désormais les intermédiaires fiscaux à déclarer aux autorités certaines opérations de planification. Ces dispositions s’inscrivent dans une mouvance que la dernière loi de finances vient encore de renforcer en apportant une modification d’ampleur à la définition de l’abus de droit fiscal. Une nouvelle notion qui soulève toutefois de nombreuses interrogations, comme nous le démontre Sacha Boksenbaum, Avocat, Associé chez BDO Avocats.

 

Une nouvelle définition

Jusqu’à présent, l’administration fiscale pouvait écarter, comme étant abusifs les actes ayant un but exclusivement fiscal, c’est-à-dire visant à réduire ou à annuler un impôt ou une taxe en dehors de toute autre considération. La loi de finances pour 2019 étend cette notion d’abus de droit aux opérations ayant un but principalement fiscal. Elle instaure également une clause anti-abus générale, uniquement applicable à l’impôt sur les sociétés, visant à sanctionner les montages ayant, là aussi, un objectif principalement fiscal, sauf motifs commerciaux valables.

« Ces deux nouveaux dispositifs anti-abus entraînent une grande incertitude juridique quant à l’évaluation du critère de but principalement fiscal. A priori, elle pourra être réalisée en fonction de l’avantage fiscal obtenu grâce à l’opération en cause. Mais comment comparer cette économie d’argent avec des motifs économiques, familiaux ou patrimoniaux qui, par nature, ne peuvent pas être quantifiés ? », souligne Sacha Boksenbaum.

L'articulation des dispositifs

« À défaut de clarification par le législateur, l’articulation des différents dispositifs pose difficulté. Par exemple, lorsqu’une opération relèvera de la clause anti-abus générale propre à l’impôt sur les sociétés, l’administration fiscale pourra-elle aussi appliquer l’abus de droit, qu’il soit à but principalement ou exclusivement fiscal, sachant que les conséquences en matière procédurale ne sont pas identiques ? », interroge Sacha Boksenbaum.

En effet, dans le cadre de l’abus de droit classique et du nouvel abus de droit, le contribuable peut saisir le comité de l’abus de droit fiscal tandis que cette garantie n’est pas prévue pour la clause anti-abus générale. Autre subtilité, l’abus de droit classique donne lieu à une pénalité automatique de 80 % tandis que seules les pénalités de droit commun peuvent être encourues dans les deux nouveaux dispositifs anti-abus, à savoir 40 % en cas de manquement délibéré et 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses, et sous réserve que leurs conditions d’application soient remplies.

 

L'impact sur les montages

Le nouvel abus de droit a suscité l’inquiétude des professionnels, en particulier, sur le sort des démembrements de propriété réalisés dans le cadre des transmissions anticipées de patrimoine entre générations. Rappelons que, dans ce montage, la nue-propriété du bien transmis est laissée aux enfants tandis que les parents en conservent l’usufruit. Les droits sont calculés, au moment de la donation, sur la seule valeur en nue-propriété. Lors de la succession, la nue-propriété et l’usufruit sont réunis sans droits supplémentaires à payer. Finalement, le gouvernement a expressément indiqué que ce schéma ne sera pas sanctionné sur le fondement du nouvel abus de droit dès lors que les transmissions concernées ne seront pas fictives. D’autant plus que la loi elle-même encourage ces transmissions anticipées. En effet, l’intention du législateur était de faciliter la solidarité intergénérationnelle afin de mieux préparer les successions, notamment d’entreprises.

« Une intention dont la recherche par les conseils sera fondamentale pour évaluer le risque d’abus de droit. Ainsi, nous pensons que beaucoup de montages, même ayant un but principalement fiscal, ne seront pas remis en cause dès lors qu’ils auront été mis en place conformément à l’intention du législateur. Sans oublier, bien entendu, qu’il existe des motifs importants, autres que fiscaux, pour motiver une opération. Les nouvelles mesures ne devraient donc pas avoir un impact aussi important que certains le craignent », explique Sacha Boksenbaum.

 

L'attente des commentaires

Le nouvel abus de droit s’appliquera aux actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020 pour les rectifications notifiées à partir du 1er janvier 2021. Une entrée en vigueur volontairement différée par le législateur afin de permettre à l’administration fiscale d’en préciser les contours. Des clarifications qui sont vivement attendues afin de garantir la sécurité juridique des contribuables.

« Les commentaires administratifs devraient nous apporter une grille de lecture afin que nous puissions savoir si un but est ou non principalement fiscal. Mais nous n’aurons pas toutes les réponses puisque le texte, ayant pour vocation d’être large, recouvrira des situations que ni l’administration ni les praticiens n’auront anticipées. De plus, nous pouvons craindre une divergence d’interprétation entre les différents services des impôts, puis les juridictions. Il faudra plusieurs années pour déterminer précisément ce que recouvrent les deux nouveaux dispositifs anti-abus », conclut Sacha Boksenbaum.